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Et si le COVID-19 donnait une opportunité aux Africains de s’affranchir de la dépendance et définir une nouvelle trajectoire ?

L’arrivée du covid-19 en Afrique met à nu, d’une manière saisissante, les paradoxes de ce Continent :
· Une « culture généralisée de l’importation » autrement comprise comme un mécanisme de pensée qui prône une systématisation à outrance de la dépendance vis-à-vis de l’extérieur ; et,
· L’« absence de redevabilité » des gouvernements qui rend possible toutes incongruités.
Comme le souligne à juste titre le sociologue émérite Eva Illouz, « les crises révèlent les structures mentales et politiques et, dans le même temps, elles mettent au défi les structures conventionnelles et la routine ». S’il est possible à une échelle continentale de faire l’observation, en grande majorité, du dénuement en matière de prise en charge médicale, bien qu’à des degrés variables, cela pose nécessairement des questions de gouvernance que la pauvreté économique de nos Etats, pris individuellement, ne saurait raisonnablement justifier.
Plusieurs voix s’élèvent, crient à l’irresponsabilité et surtout à l’incapacité des Etats africains, usent de théories de toutes sortes pour prédire un destin funeste à ce Continent après le passage du covid-19. Dans un sens, ce procédé peut être utile s’il permet de mobiliser des fonds d’assistance humanitaire dont les populations vulnérables ont le plus besoin et contribue à une prise de conscience. D’un autre côté, ce procédé peut apparaitre stérile s’il ne sert qu’à souligner les insuffisances connues sans pour autant proposer des solutions et à assurer la préservation d’intérêts géostratégiques avec pour corollaire, plus d’endettement. Le signifier n’est pas synonyme d’ignorance voire de naïveté sur le fonctionnement du monde. Bien évidemment, il est observé les autres faits inédits qu’engendre le covid-19 : l’acceptation et la réception d’une assistance humanitaire en provenance de la Russie par les Etats-Unis d’Amérique. Les dons chinois de matériel médical sont enregistrés un peu partout dans le monde. La prouesse scientifique de la Corée du Sud en matière de dépistage rapide ! Des systèmes sanitaires occidentaux à bout ! Autant de signes annonciateurs d’un changement de dynamiques sous l’ère post-covid-19 !
L’autrice prône toutefois plus d’optimisme dans l’énonciation des perspectives pour l’Afrique dans la mesure où l’urgence annoncée demande à être testée et par conséquent, requiert des Africains qu’ils fassent leur propre expérience du covid-19. L’emphase sur l’expérience par les Africains du covid-19 a toute son importance. Le corona virus a trois caractéristiques qui lui permettent de mettre en faillite des systèmes sanitaires robustes. Il s’agirait d’un virus respiratoire, d’un virus possédant un facteur 3 de contagiosité et un virus avec un taux de létalité apprécié à hauteur de trois pourcents. Toutefois, l’expérience de la Corée du Sud et de la Chine montre qu’il est possible de juguler la propagation du virus. Dès lors, déjouer l’ambition mortifère du covid-19 n’est pas une panacée dont les Africains seraient d’office exclu. Il est ainsi argué dans la présente note que les Etats africains pourront conjurer le sort s’ils organisent la résilience communautaire de manière efficace. Pour ce faire, il reviendra aux Africains :
D’analyser avec lucidité leurs sociétés en vue d’identifier les contraintes et les opportunités à disposition : Comme l’a si bien souligné Arkebe OQUBAY , la préparation face au virus signifie la reconnaissance de la fragilité des systèmes nationaux de santé; la prise en compte des entraves posées par le contexte social ; et la capitalisation sur l’engagement communautaire lequel pourrait être un véritable levier en matière de prévention (primaire et secondaire) si l’exécutif s’acquitte en toute transparence de son obligation d’information du public et s’attèle à proposer à temps des mesures adaptées. Il est également rappelé qu’il y a en Afrique, trop peu de moyens, d’infrastructures et d’expertise.
Trouver des solutions novatrices permettant de financer les dépenses liées à la riposte face au covid-19 et de soutenir le tissu économique : La situation budgétaire et économique actuelle est tendue. Le ratio dette/PIB des économies subsahariennes était évalué en 2019 à 95%. La chute du prix du pétrole, la baisse des prix des autres matières premières ainsi que les pertes d’activités dans les secteurs du tourisme et de l’aéronautique impactent négativement les recettes des Etats. Le secteur informel, une part estimée entre 20 et 65% du PIB des pays d’Afrique subsaharienne, est fortement perturbé dans sa continuité par la pandémie avec son corollaire d’état d’urgence sanitaire. Le 13 Mars, les prévisions de croissance économique ont été révisées de 3,2% à 1,2% ; des prévisions susceptibles d’être revue à la baisse si cette crise venait à perdurer. Un plaidoyer sur l’annulation de la dette doit être porté par l’Union Africaine. La forte dépendance vis-à-vis des importations peut davantage agrandir les déséquilibres budgétaires au gré de l’offre et de la demande. Agir sur les dysfonctionnements des finances publiques à l’aune des audits peut contribuer à assainir les comptes et à générer de la valeur. Un plan ciblé d’austérité peut également être envisagé dans le but de réaliser des économies de fonctionnement, de rationaliser les dépenses et de procéder autant que possible à une réallocation des ressources au profit de la santé et des services connexes (eau, alimentation, etc.). Il est également possible de faire appel à l’impôt en ajustant la fiscalité afin que cette dernière génère des valeurs sur la fortune. Une autre option consisterait à accompagner l’industrie locale dans un processus de reconversion partielle dans la production du matériel médical. Une fiscalité différée ou une exonération fiscale à destination des petites et moyennes entreprises permettrait de maintenir un seuil minimal d’activités.
De mettre en place des mesures sociales d’accompagnement au bénéfice de la population et en l’occurrence des franges les plus vulnérables : Le « contexte social » précité est en réalité la manifestation de la « rupture du contrat de l’Etat », laquelle est encore plus flagrante dans les Etats Africains. En Egypte, le covid-19 a relancé le débat autour de l’octroi d’une prime de risque au personnel de santé. Au Niger, il a ravivé la conscience collective sur l’insuffisance des effectifs au sein du personnel médical, 1 médecin pour 25000 personnes. Au Cameroun, la capacité en lits de réanimation attire l’attention : 24 lits de réanimation disponibles pour l’ensemble de la population. L’affaire Alice Monique Koumaté rappelle, de manière déchirante, que l’absence de sécurité sociale est en Afrique, un frein à l’accès aux soins de santé. Ces exemples servent de caisse de résonnance aux drames du quotidien dont l’ampleur risque d’être décuplée par cette pandémie. La riposte au covid-19 pose aussi le problème de l’accès aux services de base connexes (alimentation, eau, électricité, transports, etc.). Dans un tel contexte social, inciter au « civisme sanitaire » peut paraitre bien chimérique. Comment se laver les mains régulièrement si on n’a pas d’eau courante à la maison ? Comment se procurer de l’eau, du savon et du gel désinfectant si on n’arrive pas à satisfaire les besoins primaires (manger, se vêtir, etc.) ? Comment rester confiné si cela nous met face à un dilemme cornélien : contracter la maladie en sortant ou mourir de faim à la maison ? Comment parler de distances physiques si le quotidien est un ménage intégrant les membres de la famille élargie, la convivialité villageoise, l’urbanisation sauvage, la promiscuité et l’incivisme ? Comment œuvrer pour les changements de comportements dans un contexte d’analphabétisation élevée et de normes sociales, culturelles et religieuses très encrées ? Comment se sentir concerné par l’urgence de la prévention du covid-19 si chaque jour est un sursis en raison d’un taux de chômage élevé, de ressources économiques issues d’activités de survie ou d’un salariat bien maigre pour les plus petits de la société (smic : 35000 frs au Cameroun) ? Il est donc primordial que les dirigeants soient mus par une idéologie socialiste et mettent en place un plan social d’accompagnement qui permettra au dispositif de riposte au covid-19 d’être fonctionnel.
D’élaborer un processus décisionnel participatif à deux niveaux de concertation (niveau national et niveau région ou province) : les mesures de prévention du covid-19 requièrent, pour des besoins d’efficacité, une forte adhésion de la communauté. Le contexte social précité laisse entrevoir des chocs sociaux en l’absence d’un engagement communautaire conséquent que la puissance publique ne saurait d’une part, raisonnablement régler par le biais de la coercition et/ou du recours à la force et d’autre part, dont la puissance publique ne saurait se priver au nom de l’état d’urgence. Vu l’impact pluriel du covid-19, les pouvoirs publics gagneraient à considérer, sans discrimination, les populations comme des acteurs à part entière de la lutte. Pour ce faire, il est important d’associer la base à la prise de décisions ; ce qui peut être fait par le biais de consultations organisées en région ou province avec les groupes sociaux qui risquent d’être affectées par les mesures restrictives préconisées (religieux, coutumier, transporteurs, commerçants, vendeurs ambulants, opérateurs économiques, artistes populaires, etc.). Le but recherché est de promouvoir un esprit de concorde, de contribuer à une remontée d’information, de peaufiner les mesures identifiées et de proposer des alternatives. Sur la base de ces retours, les autorités pourront faire usage du pouvoir exécutif de manière sereine dans la mesure où les solutions adoptées connaitront l’adhésion des populations. Au niveau national, des commissions techniques seront établies dans l’optique d’outiller les gouvernements dans la gestion de la crise. Afin de capitaliser sur ces discussions, il faudra dans une approche multidisciplinaire et non-partisane, définir les stratégies et identifier les outils de leur mise en œuvre. Tant les ressources locales que celles issues de la diaspora seront mises à contribution. En rapport avec la jeunesse en particulier, elle devra être mobilisée dans les domaines des nouvelles technologies et de l’innovation par le biais d’appels d’offres ou de concours afin de stimuler une émulation en vue du développement de solutions d’appoint adaptés à nos contextes de précarité. Une implication de la jeunesse dans la lutte contre la désinformation est une autre avenue à explorer. Le volet coopération internationale ne doit pas être oublié. Dans cette perspective, la primeur doit être donnée à la coopération bilatérale entre Etats frontaliers. Au niveau régional, le leadership assuré par la Présidence de l’Union Africaine doit faciliter l’identification de positions communes dans le cadre de négociations en vue de l’aide, de l’achat de matériel médical voire de médicaments. Enfin, la coopération sud-sud ainsi que celle avec les pays ayant fait l’expérience d’urgence sanitaire en Afrique (Afrique du Sud, République Démocratique du Congo, Guinée, etc) et d’urgence sanitaire covid-19 (Chine, Corée du Sud, Taiwan) seront très utiles.
En termes stratégies, les orientations identifiées requièrent des dirigeants africains :
· Que, par le biais de la coopération entre les Etats frontaliers, des dispositifs de contrôles sanitaires soient déployés sur les voies terrestres de passage, au sein des gares routières et dans les points aériens d’entrée ;
· Que la coopération internationale facilite les négociations en vue de l’obtention de matériel médical (inclus les médicaments et vaccins) et l’annulation de la dette. Dans cette perspective, le partenariat Sud-Sud ainsi que les membres du BRICS pourrait être une alternative aux logiques mercantilistes prônées par certains pharmaceutiques ;
· Que, par le biais d’appels d’offre et de discussions avec le patronat, des initiatives de production locale puissent davantage être boostées. Une option serait pour les pouvoirs publics d’embrasser les initiatives existantes (recherches scientifiques, inventions, startups) ;
· Qu’ils investissent leurs efforts en priorité dans la prévention (primaire et secondaire) ;
· Que le régime d’exception autorisée par l’état d’urgence sanitaire soit défini par l’exécutif au terme d’une consultation large réalisée à la base, ce qui permettra de circonscrire, si nécessaire, les nouvelles limites des libertés individuelles de manière appropriée et d’adapter les réponses à nos réalités ;
· Que les consultations soient respectueuses du genre et intègrent les partis de l’opposition, les transporteurs, les commerçants, les religieux, les leaders coutumiers, les artistes ;
· Qu’en parallèle des mesures sécuritaires, les gouvernements développent un plan social financé sur fonds propres. Un appel partiel aux mécanismes informels de solidarité sociale (tontines, associations villageoises, etc.) pourra être mis à contribution dans le but de mettre en place une banque alimentaire aux bénéfices des groupes vulnérables ;
· Que la réflexion technique sur la prévention et la prise en charge médicale convoque une large expertise (locale, diaspora, continentale et internationale) et différents domaines d’expertise (recherche scientifique, thérapeutique traditionnelle, médecine moderne, praticiens, industrie, etc.) ; et,
· Que la jeunesse à l’échelle nationale soit sollicitée dans le secteur des nouvelles technologies en vue de stimuler l’innovation et de contribuer la sensibilisation sur les gestes barrières sur les réseaux sociaux.

Mimche Eléone , juriste, camérounaise

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