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Interview exclusive du Président de la République, Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani, avec Le Rénovateur et Cridem

Le Président de la République, M. Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani.

Lundi 30 octobre 2023, cinq médias privés nationaux (Al Akhbar, Cridem, Essahraa, Le Rénovateur Quotidien et Saharamédias) ont été les heureux élus pour pouvoir interviewer le président de la République. Une opportunité qu’ils ont mis à profit pour poser les questions, y compris celles qui fâchent, censées intéresser l’opinion publique nationale : lutte contre la gabegie, promotion (nomination) de personnes, taxées, à tort ou raison, de « corrompus », état-civil, « à deux vitesses », la très controversée loi sur le genre, le conflit israélo-palestinien, le procès de la décennie, la présidentielle, avec la très probable candidature de Ghazouani pour un second mandat…

A cœur ouvert, mais surtout sans gêne, le Président de la République a répondu à une vingtaine de questions qui, par commodité, ont servi à deux interviews séparées (une en arabe et une en français), au sortir desquelles l’impression que la présidence n’a rien à cacher a été largement partagée. Mais surtout, qu’il y a aussi un souci – louable – de promouvoir la presse nationale privée en lui accordant ce que d’aucuns considèrent comme un « privilège » jusque-là réservé à de la presse internationale ! ENTRETIEN.

CRIDEM : Monsieur le Président, vous abordez la dernière année de votre mandat. Dans quelle situation économique et financière aviez-vous trouvé le pays lorsque vous arrivez au pouvoir en 2019 ? 

Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani : J’ai trouvé le pays dans une situation difficile et les énormes effets négatifs de la crise COVID survenue sept mois après notre accession au pouvoir, conjugués aux dramatiques conséquences de la guerre en Ukraine, ont rendu la situation encore plus difficile : à la fin de 2020 le taux de croissance était de -0,9%.

 Devant cette situation, nous nous sommes engagés dans une démarche visant, dans le court et le moyen terme, à :

–           Remettre l’économie sur le sentier de la croissance,

–           Préserver les équilibres budgétaires et monétaires,

–           Réduire le niveau d’endettement,

–           Renforcer la confiance des partenaires et des investisseurs en notre pays.

Grâce à la persistance dans l’effort et à la qualité de la conception et de la mise en œuvre de notre politique économique nous avons pu :

–           Renouer avec la croissance (6,4%, en 2022).

–           Préserver les équilibres budgétaires et extérieurs.

–           Réduire le taux de notre endettement extérieur de 27 points, le ramenant de 70%, en 2019, à 43% en 2022, grâce aux importants efforts que nous avons entrepris dans ce sens, dès notre accession au pouvoir.

–           Renforcer la confiance des partenaires et des investisseurs (les investissements directs étrangers (IDE) ont triplé sur les trois dernières années ; passant de 500 millions USD, en 2019, à 1,5 milliard USD en 2022).

Pour renforcer et inscrire ces résultats dans la durée nous avons, à notre initiative, engagé un important programme avec le FMI visant à assurer un accompagnement de haut niveau à la mise en œuvre de réformes structurantes.

CRIDEM : Ces jours-ci, il y a une polémique autour du projet de loi relatif à la lutte contre les violences faites à la femme et à la fille qui a été rejeté deux fois par le Parlement. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani : Fort des valeurs de l’Islam, qui garantissent aux femmes tous leurs droits, dans le respect et la dignité, et conscient de la nécessité d’une pleine participation des femmes à la construction du développement du pays, nous avons, tout au long des années écoulées, veillé à :

  • La consolidation de la participation politique de la femme ;
  • La mise en œuvre d’un vaste programme d’autonomisation des femmes ;
  • La mise en application des textes juridiques protégeant les femmes contre toutes les formes de discrimination.

Le draft de projet de loi, objet de votre question – parce que il ne s’agit en fait que d’un draft – est très différent du projet de loi sur le genre qui fut rejeté par le Parlement, en 2017, et retiré volontairement par notre Gouvernement en 2019.

En fait, ce draft de projet de loi auquel vous faites référence a pour objectif de réfléchir aux mesures les plus à même à préserver davantage la dignité des femmes et de les protéger contre les violences de toute sorte.

Mais, je n’ai pas besoin de vous rappeler que la Constitution stipule que la CHARIA ISLAMIQUE est la source des lois en Mauritanie.

En conséquence, je vous rassure, et à travers vous, l’opinion publique nationale, que tout texte de loi qui enfreint, ne serait-ce que de manière infime ou collatérale les préceptes de notre Sainte Religion, est un texte qui viole la Constitution, dont je suis le garant, et ne pourrait donc, d’aucune manière, être approuvé ou introduit par le gouvernement.

CRIDEM : Récemment, la Mauritanie a fait savoir à BP, qui exploite le projet gazier GTA, de respecter ses engagements. Quelle garantie avez-vous reçu afin que cette protestation ne soit pas juste un cri dans le désert ? 

Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani : Tout d’abord, nos relations avec tous nos partenaires sont régies par la transparence et la permanence de la concertation.

Nous tenons régulièrement des réunions de travail avec nos partenaires et nous recherchons, ensemble, les solutions aux défis communs et réitérons toujours la nécessité pour chacune des parties de respecter scrupuleusement ses engagements contractuels…

Comme vous le savez, nous somme partenaires avec BP dans deux champs gaziers. Il s’agit du champ Grand Tortue Ahmeyim (GTA) que nous partageons avec notre voisin le Sénégal et du champ de BIR ALLAH.

Pour ce qui est de GTA, les engagements auxquels vous faites allusion se rapportent essentiellement aux points suivants :

–           le respect du calendrier du FIRST GAS de la phase 1 du projet,

–           la maîtrise des coûts du projet,

–           la mise en œuvre de la (les) prochaine (s) phase(s) devant ramener le plateau à 10 MTPA (million de tonnes par an) dans l’horizon le plus proche.

Par rapport au premier engagement, et malgré le retard accusé du fait de la Covid-19 et de la sous – performance de certains sous-traitants, BP s’est engagé à faire le maximum pour accélérer les travaux restants, et prévoit un début de production à la fin du premier semestre de 2024.

Par rapport au second engagement, l’Etat, à travers la SMH, suit l’évolution et la pertinence des coûts et de tout nouvel engagement.

Par rapport au troisième engagement, nous œuvrons pour une rapide concrétisation du concept de la phase 2 et coordonnons avec le Sénégal, à travers nos sociétés nationales respectives, à ce sujet.

S’agissant de BIR ALLAH, nous avons signé avec BP un contrat de partage de production en octobre 2022 qui comporte plusieurs phases agencées avec des jalons de suivi. Le prochain jalon est prévu à la fin du mois courant.

Globalement, nous pensons que les objectifs stratégiques des États et des sociétés étrangères sont alignés et consolidés par le dialogue et la concertation permanente.

 

Avec le Président de la République, lors de l’interview : A. Telmidi (Essahraa), Sneiba (Le Rénovateur), Ch,O. Horma (Saharamédias), Haiba (Alakhbar), B. N’Diaye (Cridem).

CRIDEM : Monsieur le président, plus de 8 500 jeunes mauritaniens sont arrivés aux Etats-Unis illégalement en 2023. Les départs continuent, malgré les assurances du gouvernement. Comment comptez-vous répondre à cette hémorragie ? 

Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani : Les jeunes ont toujours été au cœur de mes priorités.

Je suis conscient des situations de vulnérabilité qui marquent une partie de cette population du fait des défis auxquels ils font face comme le chômage et la migration qui sont des phénomènes universels.

Pour faire face à ces défis, notre jeunesse est appelée à tirer profit du potentiel économique important et diversifié dont dispose notre pays et qui offre de nombreuses opportunités d’emplois dans des   secteurs prometteurs, tels que l’agriculture, la pêche, les bâtiments et travaux publics ainsi que les services.

Afin que nos jeunes profitent de ce potentiel et des opportunités qu’il offre, ils doivent se libérer de toutes les mentalités et stéréotypes stigmatisant certaines professions et métiers.

Je leur lance, ici, un appel solennel afin de se défaire de ces mentalités qui font obstacles à la bonne mise en œuvre de nos stratégies visant le plein emploi et que nous combattons dans le cadre de notre vision globale de développement intégré de la jeunesse.

Cette vision qui est centrée sur la création d’emplois et d’opportunités pour les jeunes, sur la formation technique et professionnelle qualifiante, la promotion de l’entreprenariat et le renforcement de l’accès aux secteurs productifs créateurs d’emplois et de revenus, tels que l’agriculture, l’élevage et la pêche.

Je suis persuadé qu’en facilitant l’accès des jeunes à des financements adaptés et de long et moyen terme, et en développant les outils d’accompagnement de l’entreprenariat jeune, nous arriverons à inverser la courbe du chômage et à amorcer une nouvelle dynamique de l’implication des jeunes dans le processus de développement économique et social de notre pays.

Aussi, capitalisant sur nos acquis dans ces domaines, nous comptons lancer, les semaines à venir, un vaste programme de promotion de l’emploi des jeunes par la valorisation des opportunités agricoles.

RENOVATEUR QUOTIDIEN : Monsieur le président, la Mauritanie est très riche sur le plan des ressources économiques mais très appauvrie par des décennies de pillage des deniers publics qui gangrènent l’administration. Malheureusement, les auteurs de ces crimes sont rarement envoyés en prison, s’ils ne sont pas tout simplement récompensés par des postes juteux. La traduction devant la justice de l’ancien Président Mohamed Ould Abdel Aziz augurerait-elle de la fin de l’impunité ?

Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani : La gabegie, depuis des décennies, endigue, par ses effets destructeurs, le développement économique et social de notre pays. C’est incontestable et je vous l’accorde.

Ce phénomène est d’ailleurs universel. Aucun pays n’y échappe, quelles que soient la force de ses institutions et la richesse de son expérience en matière de bonne gouvernance.

Cependant, je rejette entièrement la tacite insinuation de votre question qui laisse sous-entendre un laxisme de notre part dans la lutte contre ce phénomène.

En effet, dès les premiers jours de notre mandat, nous avons entrepris de mettre en place une nouvelle stratégie de lutte contre la gabegie et la corruption, institutionnalisée et marquée par la rigueur et le refus systématique de la partialité et du règlement des comptes.

Vous ne pouvez pas ne pas avoir constaté l’important regain de dynamisme dans la lutte contre la gabegie et la corruption que traduit, entre autres,

–           Le rattachement de l’Inspection Générale d’État à la Présidence de la République et son renforcement en termes de moyens et en ressources humaines qualifiées,

–           La mise à jour de la cartographie des risques en matière de gestion,

–           Le renforcement des inspections internes,

–           La modernisation du code de passation des marchés,

–           la publication, pour la première fois, des rapports de la cour des comptes, et j’en passe.

D’autre part, je peux vous assurer que chaque fois que nous avons reçu, dans sa version définitive le rapport de contrôle d’une structure, nous avons immédiatement pris les dispositions et mesures qui s’imposaient.

Tous les responsables impliqués ont été sanctionnés suivant la gravité des faits qui leur sont reprochés.

 Parfois la sanction fut administrative, d’autre fois les concernés se sont retrouvés devant la justice.

Certes, cela se faisant sans tapage ni publicité, mais il se faisait systématiquement et rigoureusement.

Je voudrais maintenant, en guise de conclusion à ma réponse, rappeler que le combat contre la gabegie et la corruption doit être le combat de tous : les imams, les leaders d’opinion, les responsables politiques, la société civile…

Nous devons, ensemble, travailler à reformer les mentalités pour améliorer le rapport du citoyen à la chose publique.

Pour ma part, je vous réaffirme ici ma ferme volonté de lutter contre la gabegie et compte sur votre soutien à tous pour remporter ce combat, car, pour nous, il n’y a pas d’autre alternative.

RENOVATEUR QUOTIDIEN : Monsieur le Président, au terme de votre premier quinquennat et à quelques mois de la prochaine élection présidentielle comptez-vous rempiler pour un second mandat ?

Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani : Cette question nous a été déjà posée et vous avez eu certainement connaissance de notre réponse. Servir mon peuple est toujours pour moi un honneur.

RENOVATEUR QUOTIDIEN : Des voix continuent de s’élever dans certains milieux des droits de l’homme et largement à travers les réseaux sociaux, mettant en cause l’enrôlement    biométrique à “double vitesse”   qui bloque l’accès à l’état civil à la majorité des négro-africains établis en Mauritanie et à l’étranger sans exception, dans les bureaux des registres sécurisés. Cette situation est également dénoncée régulièrement par les victimes des événements de 1989 revenus du Sénégal ou encore restés dans ce pays. L’État mauritanien n’a-t-il pas un devoir de redevabilité vis-à-vis de ces milliers de citoyens privés de leurs droits ?

Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani : Je dois rappeler que dans le cadre de l’opération d’identification des populations, j’ai engagé, lors du conseil des ministres tenu le 12 juillet dernier, le Gouvernement à davantage d’implication dans la campagne de sensibilisation pour assurer la réussite de l’opération d’enrôlement des populations.

Dans le cadre de nos efforts visant à rapprocher l’administration des citoyens afin qu’ils bénéficient de l’ensemble des services administratifs dans la célérité, l’équité et la transparence, nous avons tenu à ce que cette campagne qui vient compléter le processus démarré en 2011, aille vers les populations qui ont des difficultés à accéder à l’état-civil lequel est un droit fondamental de tout citoyen et dont dépend la jouissance de nombreux droits.

Le Gouvernement est résolument engagé à mettre en place tous les moyens nécessaires afin que l’opération soit couronnée de succès.

Cette campagne qui couvre toutes les communes du pays est conduite suivant un processus qui associe les imams, notables, et autres personnes ressources. Elle a permis jusqu’ici l’enrôlement de plus de 238.000 personnes et je peux vous assurer que tout sera mis en œuvre pour que chaque citoyen mauritanien soit biométriquement enrôlé.

Photo de groupe avec M. le Président de la République.

Propos recueillis par : SNEIBA Mohamed et Babacar N’DIAYE

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