La traversée du fleuve : le micmac des postes- frontières
« La Traversée » est le titre d’un roman de Mouloud Mammeri, un classique de la littérature maghrébine publié en 1982 et que tout bon élève de Terminale (de notre époque) se devait d’avoir lu. Si j’évoque ce livre, quarante ans après sa publication, c’est parce que sa forte symbolique (difficultés, solitude, problèmes, incompréhension) est encore présente. Ce n’est pas pour rappeler la désertion de la lecture par nos élèves mais pour évoquer les nombreuses tracasseries que rencontre tout voyage traversant le fleuve Sénégal dans un sens où dans un autre.
« Etre un règle ne sert à rien », me dit un jeune homme, chauffeur de taxi à Rosso, qu’un ami a chargé de m’accompagner jusqu’à Rosso Sénégal pour me faciliter les « formalités ». Côté mauritanien, nous n’avons eu aucun problème grâce sans doute au fait que mon « guide » connaît apparemment tout le monde. Il me montrait du doigt et on me laissait lui emboîter le pas. Je me dis que cette « facilité » n’était sans doute pas offerte aux gens qui ne sont pas accompagnés par un « guide » !
Une fois à l’embarcadère (bac), je fais remarquer à mon compagnon que je n’ai ni carnet de vaccination, ni certificat de devises, seulement ma pièce d’identité. Il me répète la même chose : ça ne sert à rien. De toutes les façons, tu seras obligé de payer, une fois de l’autre côté.
De l’autre côté, de robustes policiers et leurs « assistants » vous attendent de pied ferme. Ils commencent par ramasser vos documents de voyage, sauf si votre « guide » leur fait signe que vous êtes son « protégé ». Les termes de l’accord me sont inconnus mais il est certain que les deux parties y trouvent leur compte. Devant le guichet où commencent les formalités, mon guide me demande ma pièce d’identité et un carnet de vaccination que je n’avais pas ! Ce sera dix mille (10 000 francs), me dit-il. Je paye sans rechigner, sachant que je suis dans le tort. Je devais payer également 2000 francs et 1000 francs pour des « services » postés à la porte de sortie du bac, juste avant de s’éloigner de la zone du micmac frontalier.
Il faut dire cependant que, contrairement à la Mauritanie où vous avez un poste de contrôle pratiquement tous les vingt ou trente kilomètres, entre Nouakchott et Rosso, au Sénégal, vous pouvez rouler tranquillement, sur près de quatre cents kilomètres sans être arrêté, une fois sorti des « griffes » de la police des frontières. Des situations qui ne sont peut-être pas identiques, la Mauritanie étant envahie par des vagues de candidats à l’immigration (clandestine) vers l’Europe et ayant vécu, par le passé, une douloureuse épreuve avec le terrorisme, se doit être vigilante sur toutes ses frontières : Algérie, Mali, Maroc, Sénégal.
Eviter une telle situation pour le pont
Le pont de l’amitié mauritano-sénégalaise, en cours de réalisation, ne devrait pas subir le sort du bac de Rosso. Il doit être, comme le souhaitent les autorités des deux pays, l’élément déclencheur d’un réel développement des échanges commerciaux entre la Mauritanie et le Sénégal et le chainon manquant de la Transsaharienne devant relier l’Europe à l’Afrique de l’ouest en passant par le Maroc.
Mais la véritable donne du Pont de Rosso est liée à l’affermissement des échanges économiques entre la Mauritanie et le Sénégal à la veille de l’entrée en exploitation du gaz du champ Grand Tortue Ahmeyim (GTA) que les deux pays ont choisi de développer en commun en confiant sa gestion à BP et Kosmos Energy.
Il est donc permis de penser que, pour la bonne marche de ce projet de coopération sud-sud engageant des dizaines de milliards de dollars sur une durée de 30 ans, les gouvernements des deux pays vont tout mettre en œuvre pour que leurs échanges commerciaux bénéficient de plus de fluidité. Engagés également comme acteurs majeurs dans l’Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal (OMVS), la Mauritanie et le Sénégal ont plus d’une raison pour travailler ensemble en faisant du fleuve un élément clé de leur coopération bilatérale et des relations séculaires qui les lient, tant sur le plan culturel qu’économique et social.
La Mauritanie et le Sénégal ayant tous deux ratifié l’accord sur la ZLECA (Zone de libre-échange continentale africaine), ils doivent pouvoir tirer profit, de façon conséquente, des facilités qu’elle permet. L’avantage du libre-échange ne résidant pas uniquement dans les transactions à grande échelle mais aussi dans ce que les populations peuvent tirer de ces échanges.
Sneiba Mohamed