Dans ce duel entre Goliath et David, qui donc soutenir ?
Depuis huit jours de suite je suis, le regard assidûment rivé à l’écran de la télévision, l’évolution hallucinante de la guerre en Ukraine. Je suis aussi avec la même intensité, l’oreille tendue la cascade ininterrompue de déclarations guerrières et suffisantes des dirigeants de l’Europe et des États-Unis qui se présentent en maîtres de l’ordre international noyant dans un tintamarre de vociférations les justifications presque inaudibled’une Russie subitement mise au ban de la communauté internationale.
Devant pareil spectacle mettant face à face des belligérants aussi redoutables, on realise que le monde est devant un tournant éminemment historique et qu’il faut désormais chercher à saisir au-delà des slogans affichés des uns et des autres les motivations profondes des principaux protagonistes.
Américains et Européens prétendent se mobiliser pour défendre les valeurs du monde « civilisé », valeurs de liberté et de démocratie. Doit-on les prendre au mot ou sommes-nous plutôt en droit de chercher le fin mot de l’histoire ? Ne portons nous pas encore les stigmates de la fameuse mission civilisatrice des débuts du vingtième siècle. Ne savons-nous pas aujourd’hui que les prétendus valeurs civilisationnelles n’ont été ni plus ni moins qu’un maquillage pour voiler l’écoeurante réalité de la colonisation. Une colonisation qui a enfermé l’Afrique dans un filet de relations piégées dont elle peine encore à sortir. En remontant l’histoire des relations entre notre Continent et l’Europe nous tombons sur l’autre apport civilisationnel que fut la traite des noirs. Des peuples entiers arrachés, dans des conditions inouïes, à leur milieu et à leur terre pour arroser de leur sueur les plantations européennes.
Récemment encore nous avons suivi impuissants les expéditions successives menées, tour à tour, sans raison, par le monde civilisé contre l’Irak, la lybie. Qui n’a pas encore en mémoire, le visage rayonnant et digne de Saddam debout, droit sur l’échafaud. Tous ces chefs d’État n’ont d’autres crimes que d’avoir voulu développer et moderniser, en toute indépendance, leurs propres pays.
N’est-ce pas encore ce même monde civilisé qui parraine, arme et protège l’entité sioniste dans la poursuite de la plus longue, la plus perverse et la plus sanguinaire occupation coloniale.
Nous arabes et africains gardons en mémoire en arrière goût amer de la cohabitation avec l’Europe pour ne pas nourrir un sérieux scepticisme à l’égard de ses projets.
Avec la Russie, il n’y a pas cette promiscuité, source de désillusion. C’est un pays lointain auréolé d’un passé glorieux dont les grands principes ont galvanisé à un moment de l’histoire les élites des peuples opprimés. La grande révolution des bolcheviks a été l’étincelle qui déclencha l’éveil national et l’aspiration impondérable des nations à disposer d’elles-mêmes. À cela s’ajoute son rôle majeur dans la défaite des troupes nazies.
Contrairement aux Européens la Russie n’est jamais intervenu en Afrique et dans le monde arabe sauf sur sollicitation de ces pays et pour les aider à se libérer des serres de l’occupant.
Ce rappel de la nature de nos rapports avec les principaux protagonistes de cette guerre d’Ukraine n’est que l’avant propos à la question clef de ce conflit : quelles sont les motivations profondes des dirigeants d’Europe, des États-Unis et de la Russie ? Il va de soi qu’il ne s’agit pas d’une question de droit, ni de légitimité, car le droit, nous n’avons cessé de l’apprendre à nos dépens, n’est autre que le droit du plus fort. L’enjeu véritable est celui de leadership. Les américains se sont habitués à diriger le monde sans partage, depuis le démantèlement de l’union Soviétique. La Russie n’a jamais pardonné cette félonie historique, ni renoncé à son statut de superpuissance. L’Amérique rejette vigoureusement toute bipolarité dans la conduite des affaires du monde et l’Europe est heureuse de lui emboîter le pas, farouchement déterminée à défendre son rôle second et à entretenir l’illusion d’une puissance perdue il y a belle lurette.
L’Ukraine a eu le malheur d’être située sur la ligne de front entre deux ensemble de tous les temps rivaux. La Russie ne lui pardonne jamais d’avoir failli à son devoir de fidélité à l’égard de la mère patrie, car ne l’oublions pas, l’Ukraine appartient à l’ensemble soviétique, appartenance qui remonte bien loin dans l’histoire.
L’Amérique ne voit en elle qu’un avant poste pour tester la force de nuisance de l’adversaire er l’efficacité de ses propres armes. On ne peut dans ce cas que déplorer le manque de sagesse des dirigeants de ce pays qui n’ont pas réussi à déjouer les intentions des uns et des autres en se retranchant derrière le choix d’une stricte neutralité à même de les mettre à l’abri des hostilités.
Dans ce face à face historique dans quel plateau de la balance résident les intérêts des pays du tiers monde ?
tirent-ils plus d’avantages dans un monde mono-polaire où l’européen est seul maître à bord, capable de lâcher bride à ses pulsions chauvines et sa volonté démesurée de puissance ? Ne risque-t-on pas, alors de regretter l’absence d’une6 force refuge à laquelle, dans des situations extrêmes, on peut recourir ? Il va de soi que ce cas de figure est le plus défavorable. Le tiers monde gagne plus dans un monde multipolaire où les options sont ouvertes et où il est possible de se mouvoir avec moins de contrainte. Ce choix se pose aujourd’hui avec acuité et C’est le moment où jamais de le servir. La croisade occidentale est aujourd’hui contre la Russie, elle visera demain la Chine et après demain la Turquie et toute autre nation émergeante à même d’accéder au statut de puissance.
Dr Abderrahmane Sidi Hammoud