Interview Baba Tandian observateur politique et vice-président des Editeurs de presse au Sénégal
Monsieur Baba Tandian vous êtes le vice-président des Éditeurs de presse du Sénégal et un observateur averti des relations mauritano-sénégalaises.Vous étiez présent au grand forum de Dakar sur la paix et la sécurité qui a vu la présence du Président mauritanien Mohamed CheiKh El Ghazouani comme invité d’honneur. Quelle impression s’est dégagée au sein de l’opinion sénégalaise ?
La brillante participation du président de la République Mohamed Cheikh El Ghazouani a été saluée par tous les participants du Forum de Dakar. Ce fut une surprise puisque pour tous les participants au Forum de Dakar, c’était la première fois qu’ils voyaient le nouveau chef d’Etat mauritanien. Le peuple sénégalais était plus habitué à des présidents mauritaniens plus célèbres comme OulTaya, Aziz… mais ce qui a été étonnant, c’est que dès ses premiers mots au Forum, on a senti un courant de sympathie traversé la salle. L’homme avait un visage jovial, mais surtout il dégageait une sympathie contagieuse comme me le disait un étudiant. L’opinion de ce dernier est partagée par nombre d’étudiants qui m’entouraient car ils savaient l’état de mes relations profondes avec la Mauritanie. Cette bonne opinion a été confirmée par l’homme dès qu’il a pris la parole. Un discours fort et bien structuré qui envahit une salle plongée dans une profonde écoute. Le président Ghazouani impressionne par la maitrise de son sujet de la question djihadiste dans le Sahel. La sérénité se dégageant dans son discours d’une critique de l’approche onusienne de résolution de la crise terroriste a charmé la salle qui ne cessait d’applaudir fréquemment les séquences du discours. Il a même ravi la vedette au président MackySall. Son discours a vraiment fait tilt. Il a frappé l’esprit de l’opinion publique sénégalaise. D’ailleurs au lendemain, il a partagé la Une des quotidiens sénégalais. Un bon baromètre du niveau d’appréciation de la posture de l’homme. Un véritable chef d’Etat, mais surtout l’incarnation d’un leadership naissant pour la Mauritanie, mais aussi pour la sous-région. Les Sénégalais venaient de découvrir l’homme. Ghazouani a trouvé des supporters et des sympathisants au sein du peuple sénégalais.
Le nouveau président a développé dans son discours des points clésur la lutte contre le terrorisme notamment la responsabilité qui incombe aux Etats et à l’ONU surtout sur la question de la faiblesse des financements pensez-vous que le président mauritanien a bien posé la problématique de la lutte contre le terrorisme ?
Effectivement, le président mauritanien a montré une véritable maitrise de la problématique de la lutte contre le terrorisme. Quel est le dirigeant africain et du monde qui ose critiquer ouvertement le jeu de yo-yo des Nations-Unies? Le président Ghazouani a montré le drame du terrorisme pour nos pays à travers le désastre des activités terroristes qui ont engendré des milliers de morts, des centaines de déplacés, la fermeture de centaines d’écoles et des millions de déplacés. Certes s’il a salué les initiatives de gestion de crises émanant de nos Etats et de nos partenaires, il déplore que telles initiatives ont connu des limites. C’est pourquoi il pense que c’est important que l’ONU se réforme.Il a proposé un vaste changement dans la procédure onusienne de lutter contre le terrorisme au niveau de la composition des membres permanents du Conseil de sécurité mais également dans sa politique de maintien de la paix qui n’est pas en adéquation avec le temps des autres. Selon lui, il faut des forces plus mobiles et connaissant mieux le terrain qu’une force lourde avec un mandat souvent limité et couteux.Seulement je ne suis pas étonné de cette posture de l’homme parce qu’il ne faut pas oublier qu’il est un militaire de haut rang puisqu’il a été un général chef d’Etat-major des armées mauritaniennes. Il a été au cœur de toutes les stratégies de lutte contre le terrorisme en Mauritanie. Des stratégies efficaces puisque la Mauritanie est parvenue jusqu’ici à faire face aux groupes terroristes qui s’illustrent pourtant dans des pays frontaliers avec la Mauritanie. Ce qui est magnifique chez cet homme, c’est qu’il ne fait pas de l’exhibitionnisme. Son efficacité réside dans sa discrétion. Un militaire pur et dur, doté d’un coefficient intellectuel remarquable, la preuve que son discours fut de très haute facture au Centre de conférence internationale Abdou Diouf de Diamnadio. Ce qui est intéressant, c’est qu’en tenant un tel discours au Sénégal aux côtés du président MackySall, c’est un signal fort d’un nouveau départ dans les relations entre les deux pays, mais surtout pour combattre ce fléau du terrorisme qui entrave le développement économique de nos pays. Les deux présidents vont se tenir la main pour combattre ensemble aux côtés des autres chefs d’Etat de la sous-région le fléau du terrorisme. Comme disent certains pour combattre satan, il faut être deux ou plusieurs Etats.
Le discours du président a été très ovationné par la salle comme vous l’aviez constaté s’agit-il d’un mouvement d’ensemble ou d’une note d’appréciation ?
C’est parce que les Sénégalais se sont retrouvés dans le discours du président mauritanien qui colle à l’actualité terroriste en cours. Surtout que la Mauritanie est plus exposée que le Sénégal. Cependant il est clair aucun pays de la sous-région n’est pas épargné. C’est pourquoi le peuple sénégalais se sent réconforter par le discours du président Ghazouani qui n’est pas un homme versatile. Ghazouani symbolise un gage de stabilité dans la sous-région. Parceque même si le Sénégal ne fait pas partie du G5 (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina et Tchad), le président Ghazouani a montré que notre pays méritait d’y figurer surtout que le Sénégal est l’un des plus grands contributeurs en termes de troupes au Mali. D’ailleurs d’aucuns ont vu un plaidoyer du président Ghazouani en faveur du Sénégal. Mais ce qui est important de retenir, c’est le leadership affiché du président mauritanien sur la question djihadiste. Si les autres chefs d’Etat impliqués dans ce dossier suivent la voie tracée par Ghazouani, c’est sûr qu’on peut espérer une bonne avancée dans la lutte sur ce dossier. Sa posture s’affiche comme intégratrice d’un vaste mouvement d’ensemble, mais aussi d’une touche particulière puisque l’homme parle en connaissance de cause.
Quel impact pourrait bien avoir cette visite du président mauritanien sur les relations entre la Mauritanie et le Sénégal ?
Depuis le passage de Ghazouani au cours de forum, MackySall sait désormais qu’il peut compter sur cet homme pour ensemble construire l’émergence des deux pays surtout à l’aune des découvertes du gaz et du pétrole. L’on ne peut construire nos pays dans l’anarchie, dans le manque de respect de l’un et de l’autre. Il faut un respect réciproque pour éviter de développer des sentiments de frustration de part et d’autre. Nos deux pays ont connu une histoire similaire. Ce qui nous rassemble est plus important que ce qui nous divise. Alors lorsque les deux chefs d’Etat parviennent à une convergence de vue, il faut saluer et encourager cette synergie. Jusqu’ici on a parlé le même langage dans le processus de l’exploitation future de nos ressources naturelles que le Bon Dieu nous a dotées, il faut compter dans cette même dynamique avec la construction du futur pont de Rosso qui va encore participer à densifier nos échanges économiques. Je crois qu’aujourd’hui, les deux pays ont la chance de compter sur deux hommes d’Etat engagés, patriotiques et dotés de vision mutuelle pour la prospérité de notre pays.
La première interview du président a été faîte avec le quotidien « le soleil » est-ce la preuve de l’intérêt accordé à la presse sénégalaise ?
Oui c’est un signe de respect notoire que le président de la République de Mauritanie a eu pour la presse sénégalaise. Cette interview accordée à notre quotidien national démontre que Ghazouani accorde non seulement un intérêt pour la presse sénégalaise, mais au-delà c’est pour tout le peuple sénégalais parce qu’il a cherché à marquer les esprits, mais aussi à prendre date. Cette interview traduit le ressenti que le chef de l’Etat mauritanien a pour le Sénégal. Il faut y avoir la ligne de conduite que l’homme entend imprimer à la relation qu’il veut mettre en place avec le Sénégal.
Les réfugiés mauritaniens au Sénégal ont exprimé leur déception sur le mutisme du président mauritanien sur leur situation notamment leur retour en Mauritanie. N’est -pas un cheveu dans la soupe du président?
C’est un cheveu dans la soupe. Tous les présidents mauritaniens de ces dernières années ont posé des jalons pour un règlement définitif de cette question. Sidi Abdallah, Aziz et Ghazouani aujourd’hui, chacun a cherché à faire bouger les choses dans cette histoire créée par OuldTaya. Aujourd’hui l’espoir est permis avec Ghazouani parce qu’il n’est pas un va-t-en-guerre. J’ai eu la chance de côtoyer les quatre derniers présidents. Ghazouani, je l’ai connu quand il était directeur général de la Sûreté nationale, il était au cœur du changement avec Taya. Donc c’est quelqu’un qui est très imprégné de cette question. A mon humble avis, avec lui, on pourrait arriver à un règlement définitif de la question des réfugiés mauritaniens. Il ne faut pas reprocher au président un certain mutisme parce que ce dossier est très important et sérieux. Les décisions doivent être prises dans un grand sens des responsabilités. Laissons-lui le temps de s’installer, vous verrez rapidement qu’on ne va plus parler de ce dossier.
Vous semblez nourrir un grand espoir sur l’arrivée du président Ghazouani. Pourquoi ?
Vous savez, ma connaissance profonde de la Mauritanie et surtout de ses dirigeants me donne un sentiment qu’avec Ghazouani, c’est une nouvelle ère de prospérité, de développement, mais surtout de stabilité qui sera inaugurée entre les deux pays. Le diable est dans le détail, mais lorsqu’on sort du forum avec en bandoulière le discours de très haute facture du président mauritanien, la place n’est pas au pessimisme. Mon intuition ne me trompe guère. Je nourris en effet un grand espoir pour nos deux peuples avec l’arrivée du président Ghazouani.
Propos recueillis par Cheikh Tidiane Dia