Conseil des ministres : « la fièvre du mercredi «
Le mercredi en Mauritanie n’est pas tout à fait un jour comme les autres. Ce n’est pas officiellement férié, mais dans les administrations, c’est comme si. La fièvre de l’inaction s’y installe, palpable, suspendue à un souffle que tout le monde retient. On attend. On spécule. Qui sera limogé ? Qui sera promu ? Qui reviendra par la grande porte ?
Le Conseil des ministres est en session. Dans la salle, le rituel se répète à l’identique. Têtes baissées, dociles, visages impassibles. Les parapheurs s’ouvrent mécaniquement, les pages se tournent sans conviction. Un silence ministériel presque sacré règne, pesant. On signe, on hoche la tête, on exécute. La pensée critique semble avoir déserté la pièce, laissant place à une chorégraphie bien huilée, sans surprise.
À l’extérieur, c’est une toute autre ambiance. Les rumeurs courent plus vite que les communiqués. Les téléphones chauffent, les réseaux s’emballent. Les noms des partants et des entrants circulent déjà avant même que le moindre document officiel ne soit diffusé. Dans la rue, les décisions sont décodées, commentées, réinterprétées à l’infini. La nomination de tel cadre devient sujet de débat tribal. Le limogeage de tel autre est lu à travers le prisme communautaire ou régional.
Chaque mercredi devient ainsi un verdict, une sorte de procès politique hebdomadaire. Les promus reçoivent une pluie de félicitations ; les écartés, eux, sombrent dans le silence ou l’amertume. Les commentaires s’enchaînent, les interprétations foisonnent. Rarement objectives. Souvent passionnées.
Et les projets de décrets ? Les vraies décisions de fond ? Elles passent presque inaperçues. Coincées entre deux mesures individuelles, ces textes techniques, censés orienter la politique publique, finissent souvent oubliés, relégués aux notes de bas de page de l’histoire administrative. Les parapheurs se remplissent, les signatures s’enchaînent, mais l’impact concret reste flou.
Puis vient le point de presse. Une longue séance où le porte-parole, parfois accompagné de ministres épuisés, tente de résumer l’essentiel. Le format s’éternise. Les journalistes posent leurs questions, les réponses tournent souvent autour des mêmes formules. Le citoyen, lui, attend toujours de comprendre ce que cela va changer dans son quotidien.
Car au fond, que reste-t-il du Conseil des ministres dans la mémoire collective ? Une chronique hebdomadaire de mouvements humains. Une bourse des affectations. Une vitrine de fidélités récompensées et de désaveux exécutés. Le reste — l’essence même de la gouvernance — semble avoir glissé hors cadre.
Cette obsession de la nomination écrase toute logique de service public. Le mérite devient accessoire, l’efficacité marginale. L’essentiel, c’est d’être nommé, de rester en poste, de figurer sur la photo. Le Conseil des ministres, au lieu d’être le cœur battant de l’action gouvernementale, devient un théâtre d’apparences, un rite plus symbolique que stratégique.
Et pendant ce temps, les vraies urgences ne respectent pas le calendrier du mercredi. Le chômage, l’éducation en crise, les infrastructures vétustes, les défis environnementaux, la jeunesse en quête de repères… Rien de tout cela ne peut être résolu à coups de décrets éphémères ou de remaniements calculés.
Il est donc temps de repenser le format. De sortir du réflexe pavlovien de la nomination pour la nomination. Pourquoi ne pas instaurer des appels à candidatures ouverts et transparents ? Pourquoi ne pas tenir un Conseil uniquement lorsqu’il y a un réel besoin de délibération stratégique ? Et surtout, pourquoi ne pas recentrer cette instance sur sa mission première : concevoir, coordonner, impulser les grandes politiques publiques du pays ?
L’avenir d’un pays ne se joue pas uniquement dans les chaises qui tournent. Il se construit dans la rigueur, la vision, la responsabilité. Redonner du sens au Conseil des ministres, ce n’est pas une lubie réformatrice. C’est une urgence politique.
Il est temps de réconcilier le mercredi avec l’action.